Résumés des interventions

Antoinette Baujard, L’individuel et le collectif en théorie du choix social et en économie du bien-être

Les questions normatives et de la chose publique au sein des sciences économiques sont encadrées par le welfarisme, cadre d'étude de l'économie du bien-être. Le welfarisme, qui définit le bien-être social exclusivement à partir des bien-être individuels, se justifie par un objectif de (presque) neutralité axiologique en localisant la question normative collective dans les seuls jugements individuels. Le niveau social y est donc défini comme une agrégation des niveaux individuels.

Cet article analyse certains résultats clé de la théorie du choix social qui portent sur la difficile articulation entre l’individuel et le collectif. Il montre comment le cadre d'étude welfariste a conduit à fabriquer l’ignorance des communs par la discipline, en négligeant les questions normatives qui, indépendamment des intérêts individuels, émergent dans le collectif par le fait de la mise en commun. Il conclut sur la nature fondamentalement normative des questions collectives.

Thomas Berns, Le commun de la fiction

Après m’être arrêté sur l’utilisation de la fictio legis comme vecteur de construction de la référence au social, je voudrais questionner la pertinence d’une utilisation de ce registre fictionnel à propos du commun. En nourrissant de la sorte la possibilité de penser le commun depuis la fiction (à la fois le caractère commun de la fiction en général et la spécificité fictionnelle de certaines références au commun chez Grotius), j’espère répondre à un certain déficit quant aux possibilités de dire le commun, tel que résultant par exemple de l’insistance de Giorgio Agamben quant au fait que le commun ne trouve sa consistance que dans un geste purement expropriatif ou abdicatif du droit.

Pierre Crétois, Propriété et commun, l’une empêche-t-elle l’autre ?

Penser le social comme l’expression du commun paraît supposer d'accepter une certaine forme copossession des ressources plutôt que leur appropriation privative ou publique. Ainsi, penser le social comme l’expression du commun suppose autre chose que le collectivisme communiste, c’est-à-dire au monopole public sur les ressources. Le commun contient en effet dans sa définition un élément irréductible d’horizontalité qui exclut tout monopole et permet de penser l’articulation juste des droits individuels. Un tel principe exclut donc également le monopole privé induit par la propriété privée. Au contraire, la progression du commun comme principe d’organisation du social semble imposer une révision profonde du fonctionnement des droits de propriété. De ce point de vue, l’analyse de la propriété en termes de faisceau de droit, à l’image de l’usage qu’en a fait E. Ostrom, nous semble être une des pistes de nature à relever le défi normatif qui nous est posé par la volonté d’étendre le principe du commun.

Geneviève Fontaine, Du social au commun : des conditions favorables au changement de paradigme

Avec les enjeux et urgences auxquelles nous sommes confrontés, à la fois écologiques, sociaux, démocratiques… et les menaces qui en découlent pour le genre humain et pour notre humanité, la question centrale n’est plus uniquement celle du social, celle de la recherche des conditions permettant une émancipation à la fois politique et économique des personnes. La question centrale aujourd’hui est celle du prendre soin de nos interdépendances, des solidarités sociales et écologiques d’où nous vivons (Bruno Latour). Il s’agit de renoncer au droit à la négligence (Isabelle stengers) qui nous est octroyé par les séparations socialement construites entre l’économie et l’éthique, entre la nature et la culture et entre le sauvage et l’humain civilisé. En ce sens, il s’agit de passer du social au commun en tant que principe politique organisant l’extension de nos sphères de concernement aux altérités humaines et autres qu’humaines.
Notre question centrale devient alors celle des conditions nous permettant de penser et d’agir, individuellement et collectivement, une émancipation conjointement politique, économique et écologique (Thomas Lamarche) mettant en œuvre ce principe politique du commun.
La recherche des conditions favorables à cette triple émancipation renvoie à la question posée par le colloque de l’articulation entre l’écologie politique et le droit social.
C’est en croisant les analyses institutionnalistes sur les communs, l’approche d’économie politique du développement durable par les capabilités et mon expérience vécue d’une dynamique collective instituante au sein de tiers-lieux dans les Alpes-Maritimes que je tenterai d’apporter un éclairage sur ces questions.
Nous commencerons par explorer comment les communs - en tant que dynamiques de construction sur le temps long de modes de gestion durable des solidarités sociales et écologiques - nous invitent à revisiter nos rapports au temps, à l’espace, aux savoirs, aux altérités et aux institutions.
Nous montrerons ensuite que le croisement entre les communs et l’approche par les capabilités permet d’aborder les enjeux et urgences actuels en tissant une interdépendance entre les trois formes d’émancipation et notamment en pensant le sujet non plus comme étant seulement un être de besoin, mais comme étant une personne exerçant une responsabilité agissante.
Nous nous appuierons enfin sur nos expériences des tiers-lieux et des communs pour identifier des conditions favorables touchant aux représentations, positionnements et postures des acteurs publics pour que les dynamiques sociales instituantes soient réellement triplement émancipatrices.

Muriel Gilardone, La définition anthropologique de la capabilité chez Sen : une piste pour penser le commun au sein des approches économiques de la justice

Cette contribution propose d’explorer la portée d’une définition originale de la capabilité comme « pouvoir effectif » identifiée comme fondement implicite de l’idée de justice d’Amartya Sen. Il s’agira d’abord de voir en quoi cette définition de la capabilité doit être distinguée de la définition désormais standard de la capabilité comme ensemble d’opportunités de fonctionnements accessibles aux diverses catégories d’une population. Nous verrons qu’elle renvoie plutôt à une conception anthropologique des personnes cherchant à rendre compte de leur agentivité ou « puissance d’agir » dans le monde contingent qui est le leur (I). Il s’agira ensuite d’examiner la perspective nouvelle offerte par cette redéfinition pour penser la justice en des termes qui dépassent l’individualisme et l’agrégation plus ou moins pondérée d’intérêts personnels (II). Ce travail d’explicitation d’une hypothèse implicite de Sen et d’examen de sa portée non seulement permet d’éclairer les raisons de promouvoir une conception du choix social fondée sur une approche comparative et démocratique plutôt qu’une approche transcendantale et contractualiste, mais aussi de voir comment cela vient modifier le cadre d’analyse de la justice ouvrant la possibilité de penser la construction de communs, ce que ne permet pas le cadre théorique habituel dit welfariste à visée redistributive.

Céline Jouin, Réparer le droit social ? Le paradigme du commun et la conception du sujet

En Allemagne et en France, les fondateurs du droit social, au tournant des XIXe et XXe siècle, sont partis d’une critique du droit privé et des Codes civils existants (ou en chantier) pour mettre au jour l’anthropologie individualiste cachée sur laquelle la doctrine civiliste dominante reposait. Certains ont déclaré que l’individualisme était inhérent à la notion de sujet de droit et ont cherché à se passer de celle-ci. D’autres ont élaboré leur théorie du droit social en maintenant le droit subjectif à son fondement et en confiant au droit public la tâche de donner au sujet les moyens de poursuivre ses intérêts propres. D’autres encore ont mis en avant le paradigme du commun et ont souligné que le droit social paternaliste se fondait lui aussi sur le « propre » en le généralisant. Ils ont douté que la sphère publique, par le biais de prestations, puisse réintroduire un « commun » qui avait été expulsé du rapport entre les individus. Autrement dit, ils ont douté qu’elle puisse contrer la logique de la privatisation autrement qu’en la renforçant. A la lumière de l’institutionnalisation des droits sociaux du XXe siècle et de la crise de l’État social du XXIe siècle, on examinera la conception transindividuelle du sujet qui est inhérente au paradigme du commun. On verra qu’il permet de repenser le sujet moderne en profondeur. En cessant de faire du travail productif le transcendantal des droits et de penser la nature comme un simple objet de la volonté – un objet qui ne prescrit rien au sujet –, le paradigme du commun implique de faire « bifurquer » le droit social plutôt que de le « réparer ».

Jochen Sohnle, Le concept des communs appliqué aux éléments de la nature – quelle pertinence juridique au regard de l’éthique environnementale

Suite à une légère réorientation du sujet qui intègre la thématique initiale dans une perspective plus vaste, la communication interrogera la pertinence juridique du concept des communs au regard des élément de la nature à travers le prisme de l’éthique environnementale. Dans un premier temps, le concept des « biens communs » sera présenté comme une technique juridique qui porte atteinte à la dignité inhérente aux éléments de la nature. Si le concept vise, certes, à valoriser certaines catégories de choses, y compris celles issues du monde naturel, il s’agit d’un effort largement insuffisant dans la mesure où les éléments de la nature restent réduits, bien qu’avec un statut sui generis spécialement favorable, au statut de choses. C’est pourquoi le concept parallèle des « communs » sera promu dans un second temps. Il se présente comme une technique opportune pour mettre en valeur les éléments de la nature, sous réserve que les éléments de la nature évoluent préalablement dans un sens de personnification juridique. C’est ainsi qu’ils participent avec profit à la gouvernance des communs dans le cadre d’une communauté d’intérêts qui intègre non seulement les logiques combinés d’une gestion top-down et bottom-up, mais aussi une logique de protection.

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